Le dernier Panorama de la lière des medtech françaises fait apparaître un profond malaise. Entre baisse de remboursements, lenteur administrative et réduction d’impôts qui se font attendre, le secteur se sent pénalisé. Alors même que les ventes et la création d’emplois quali és augmentent.

30,2milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019 contre 28 milliards d’euros en 2016, tels sont les résultats du dernier “Panorama des dispositifs médicaux en France”, réalisé par le cabinet D&Consultants pour le Syndicat national des industries des technologies médicales (Snitem). Pour Béatrice de Keukeleire, expert senior en santé de D&Consultants, « cette croissance est essentiellement portée par l’exportation, avec 9 milliards d’euros, soit un bond de 9,7 % sur deux ans ». Trois marchés privilégiés accueillent les medtech françaises : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie.

Une industrie créatrice de richesse et d’emplois
Le secteur des dispositifs médicaux (DM) connaît un fort développement dans l’Hexagone, en particulier avec l’essor des pratiques de chirurgie ambulatoire et du maintien à domicile. En effet, le nombre de medtech a augmenté de plus de 200 pour atteindre le chiffre de 1 602 sociétés en trois ans seulement. La grande majorité (93 %) sont des PME. Les technologies d’intelligence artificielle (IA) et de big data émergent, avec pour cible le marché de la santé digitale, qui devrait atteindre 4 milliards d’euros d’ici la fin de cette année selon l’institut d’études Xerfi. D’ores et déjà, plus de la moitié d’entre elles développent des objets connectés. Le président du Snitem, Philippe Chêne, le confirme. Pour lui, pas de doute, « les industriels ont bien compris que l’avenir est dans la connexion ».

Les entreprises emploient près de 90 000 salariés, soit 5 000 personnes de plus qu’en 2017. Elles recrutent en permanence des profils hautement qualifiés et spécialisés – avec un niveau supérieur à bac + 4 –, et les contrats à durée indéterminée (CDI) progressent chaque année de 18,5 %. Un chiffre qu’il convient de souligner. « Néanmoins 70 % des entreprises interrogées peinent à trouver certains profils : règlementaire, marketing/ vente et numérique », se désole Béatrice de Keukeleire.

Nouveau règlement européen : des délais intenables
Un petit vent d’inquiétude souffle pourtant sur les medtech sondées dans l’étude du Snitem… 90 % d’entre elles redoutent un niveau d’exigence accru en prévision du nouveau marquage CE, applicable dès mai 2020. Philipe Chêne tire le signal d’alarme. « Les organismes notifiés ne seront pas tous prêts. A ce jour, moins d’une dizaine sont habilités au titre du nouveau règlement européen. » Ces organismes vont devoir examiner les nouveaux produits mais également tous ceux déjà présents sur le marché français.

Soit des dizaines, voire des centaines de produits par entreprise en quelques mois ! « L’application du règlement européen entraîne déjà des dépenses en croissance constante pour les medtech », notent les experts de D&Consultants. Plus de la moitié des entreprises ont dégagé un budget supplémentaire afin de mettre en conformité les produits déjà présents sur le marché. Mais 44 % estiment qu’elles ne pourront pas tenir les délais de certification demandés. 77 % du panel pronostique de surcroît un retard de mise sur le marché des produits concernés. Trois entreprises sur quatre doivent même arrêter la fabrication de certains produits ou vont devoir rationaliser leurs gammes…

Un marché pénalisé par la lenteur administrative
Pour ne rien arranger, les délais d’accès au marché figurent toujours parmi les plus longs d’Europe. « Les négociations sur les prix durent en moyenne 240 jours, hors suspensions pour complément au dossier, alors que le délai maximum est de 180 jours en moyenne dans l’Union européenne », indique le président du Snitem. De plus, ils impactent le niveau des investissements des medtech en France. Enfin, la faiblesse des remboursements, les baisses tarifaires annuelles (200 millions cette année dans le cadre de la LFSS 2020) et l’instauration de nouvelles régulations comptables, comme la clause de sauvegarde, contrarient particulièrement le secteur. Pour Laurence Comte-Arassus, présidente de Medtronic France, « la complexité et la longueur de l’inscription d’un DM, combinée à un prix qui ne reflète pas la réalité du marché, conduisent 41 % des entreprises à renoncer à mettre certains de leurs produits sur le marché français ». Elle s’inquiète de la perte d(opportunités pour les patients français, privés des dernières évolutions ou innovations. « Il est indispensable de mettre en place un système d’accès au marché qui soit soutenable et compatible avec les exigences règlementaires croissantes », insiste Laurence Comte-Arassus.

Un nancement post-amorçage chronophage
La Direction générale des entreprises (DGE), rattachée au ministère de l’Économie, met en avant son rôle dans l’accompagnement des medtech. Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, s’en explique. « Nous avons sanctuarisé le Crédit impôt recherche qui permet de déduire 30 % de dépenses de R&D. Cela représente 800 millions d’euros par an pour les industries de santé. » Le statut de Jeune entreprise innovante (JEI) accorde une exonération fiscale et un allègement des charges salariales pour les start-up de moins de huit ans. L’annonce de la baisse sur l’impôt des sociétés (11 milliards au terme du quinquennat) et celle du Pacte productif 2025 auraient dû favoriser les investissements dans les medtech. Hélas, il n’en est rien. « Les dirigeants des medtech consacrent un tiers de leur temps à chercher des fonds », observe Cédric Garcia, associé du cabinet d’audit EY. Car les besoins en capitaux des medtech augmentent, notamment en raison des exigences règlementaires accrues et des préalables au remboursement (études cliniques de plus en plus coûteuses). Plus de la moitié des entreprises (53 %) constatent aujourd’hui un manque de financement post-amorçage. Compte tenu de l’évolution du marché, elles sont 65 % à anticiper un besoin de financement dans les années à venir. Rien ne va plus… et pourtant le secteur reste optimiste.

Source : DM Mag – Mars 2020